Voilà un magnifique cas d’école pour notre nouveau ministre de la Santé (et de la prévention). Dans quelques jours, voire dans quelques semaines, l’Agence européenne des médicaments et la Haute autorité de santé (HAS) vont statuer sur l’autorisation d’un médicament dans le traitement de la maladie d’Alzheimer, le donanemab. Que vont-elles décider ?
Dans le domaine des traitements touchant aux atteintes des fonctions cognitives, on assiste, depuis longtemps, à un bras de fer, avec d’un côté des pressions fortes des industriels mais aussi de médecins et d’association de patients, et de l’autre, une analyse du dossier clinique de la nouvelle molécule qui pointe des bénéfices marginaux pour un coût économique élevé. Avec, au final, beaucoup, beaucoup d’argent jeté par la fenêtre.
Dernier épisode en juillet dernier aux USA, avec l’autorisation annoncée d’un médicament « contre » la maladie d’Alzheimer développé par le groupe pharmaceutique Eli Lilly, après la publication, le 17 juillet, des résultats d’un essai clinique qui aurait montré la capacité du donanemab à ralentir la progression de la maladie chez les patients, notamment lorsque lorsqu’il est pris à un stade précoce. En mai, l’Agence américaine des médicaments (FDA) avait déjà approuvé un premier traitement similaire contre Alzheimer, le Leqembi (lecanemab), développé par Eisai et Biogen. Comme s’il ne s’agissait donc que d’une simple confirmation, Eli Lilly se montrait optimiste. S’attendant à une décision des autorités sanitaires américaines « d’ici la fin de l’année » et assurant « être en train de déposer ses demandes ailleurs dans le monde ».
Gain peu significatif et graves effets indésirables
Et pourtant… Comment ne pas être dérouté ? Cet essai est peu concluant : l’efficacité n’est pas spectaculaire et le médicament peut générer des effets indésirables potentiellement graves. Le donanemab, comme le lecanemab précédemment, est en effet administré par intraveineuse, et vise à s’attaquer aux plaques amyloïdes dont l’apparition et la multiplication seraient la cause de la maladie d’Alzheimer (ce qui n’a jamais été clairement démontré).
Dans le cas du traitement d’Eli Lilly, l’essai clinique, a été conduit dans huit pays sur plus de 1 700 personnes âgées de 60 à 85 ans, n’ayant pas encore atteint un stade avancé de la maladie. Pour un sous-groupe d’environ 1 200 personnes, le traitement a permis, au regard de certaines échelles d’évaluation, une réduction du déclin cognitif et fonctionnel de 35% sur dix-huit mois, ce qui reste modeste et peu significatif au plan clinique. Des effets indésirables graves ont été observés, comme des œdèmes ou hémorragies cérébrales et trois décès de participants à l’essai clinique sont probablement liés au traitement. Paradoxalement, même les plus ardents défenseurs de cette molécule ont mis en avant, non pas tant l’intérêt intrinsèque de la molécule, que le fait que ces résultats « sont un grand pas dans la bonne direction, représentant une percée importante qui va ouvrir la voie à de nombreux futurs traitements ».
Qu’en déduire ? Un éditorial, dans le même numéro du Jama, s’interrogeait sur la pertinence de ce type de médicament : « Are New Alzheimer Drugs Better Than Older Drugs? », demandait-il.
Rappelons d’abord le contexte, avec l’énorme « cachotterie » qui a duré plus de vingt ans autour des précédents médicaments, comme l’Aricept®, dont on a su très vite qu’ils n’avaient aucune utilité thérapeutique. Mais les autorités sanitaires, pressées par les industriels et par certains médecins qui insistaient sur l’espoir que cela donnait, ont continué à maintenir un remboursement qui a coûté au final des milliards d’euros, sommes qui auraient pu être utilisées à d’autres fins, avant qu’ils soient finalement déremboursés en 2018. Rebelotte, donc, en juillet 2023, quand la Food and Drug Administration (FDA) des États-Unis approuve cet anticorps dirigé contre l’amyloïde β, le lecanemab (Leqembi), pour le traitement de la maladie d’Alzheimer. Le lecanemab est le deuxième anticorps monoclonal ciblant la protéine β-amyloïde à être approuvé ; le premier était l’aducanumab (Aduhelm) en 2021.
Un des arguments mis en avant a été de dire que les résultats sont meilleurs que pour les médicaments précédents, qui, eux, ne marchaient pas. C’est bien le moins… L’édito poursuit en s’interrogeant sur l’intérêt clinique : « Un changement statistiquement significatif dans un test ou une échelle ne signifie pas que le changement est cliniquement significatif… Ni l’essai sur le lecanemab ni celui sur le donépézil n’ont révélé d’effets bénéfiques cliniquement significatifs des médicaments contre la maladie d’Alzheimer. »
Bref, l’intérêt thérapeutique n’est pas démontré. Dans ces conditions, que va faire un clinicien ? « Un nombre croissant de chercheurs sur la maladie d’Alzheimer se sont unis autour de l’hypothèse amyloïde au fur et à mesure que les années 1990 avançaient, rappelle la revue Jama. La croyance était que la protéine β-amyloïde était à l’origine de la pathologie de la maladie et que la réduction de la quantité de protéine pourrait ralentir, voire arrêter la progression de la maladie. » Or aucune étude n’est catégorique sur ce plan et permet de conclure que la baisse de la quantité de cette protéine améliorerait les fonctions cognitives.
Incertitudes massives et coût considérable
D’un côté, des incertitudes massives, et de l’autre, un coût considérable. « Lorsqu’il est administré à la dose recommandée de 10 mg/kg une fois toutes les 2 semaines, le coût annuel est d’environ 26 500 $ par an », insiste la revue Jama. « Et ce coût n’inclut pas les coûts d’administration du médicament ; surveillance des effets indésirables potentiels, tels que l’imagerie par résonance magnétique cérébrale de base et périodique, et les traitements contre les effets indésirables. En 2021, on estimait qu’environ 6,2 millions de personnes aux États-Unis vivaient avec la maladie d’Alzheimer. Un rapport du centre estime que le lecanemab et les services auxiliaires associés pourraient ajouter 2 à 5 milliards de dollars par an aux dépenses de Medicare, avec des dépenses substantielles pour les bénéficiaires dépourvus de couverture supplémentaire. »
Bref, c’est bien cher payé pour un gain hypothétique. D’où la conclusion de la revue : « Se concentrer sur les médicaments pour la maladie d’’Alzheimer, avec une efficacité au mieux marginale, détourne l’attention de l’utilisation de médicaments présentant des bénéfices évidents pour le diabète, l’hypertension et la dépression. Le traitement de ces maladies est associé à une diminution substantielle du risque de développer la maladie d’Alzheimer et d’autres démences. Selon un rapport de 2020 sur les facteurs de risque évitables de la démence, les interventions ciblant 12 facteurs de risque modifiables pourraient prévenir ou retarder environ 40% des cas, en particulier dans les groupes à revenus faibles et moyens, pour lesquels la pathologie est plus répandue. » Et au final : « À l’heure actuelle, les médicaments contre la maladie d’Alzheimer ont des avantages cliniques non prouvés et des dommages avérés. Des milliards de dollars dépensés pour les appareils auditifs, l’abandon du tabac, l’encouragement de modes de vie sains et le traitement de l’hypertension, du diabète et d’autres facteurs de risque modifiables profiteraient davantage aux patients que les dépenses consacrées à ces médicaments. »
Que va-t-il se passer ? Pour la petite histoire, selon des rumeurs qui courent, on changerait bientôt de Directeur général de la santé, et Grégory Emery, un médecin connu pour sa proximité avec l’industrie pharmaceutique, le remplacerait. La question est donc encore plus d’actualité : la France va-t-elle faire le pari d’une politique de prévention, ou dépenser des fortunes pour des traitements hasardeux ?
Éric Favereau