Dangereux, meurtriers potentiels ? Les médias les présentent souvent comme un danger. On en a peur. Les statistiques disent pourtant l’inverse, montrant que les malades mentaux subissent dix fois plus d’agressions qu’ils n’en commettent et ceci de façon constante depuis de nombreuses années. Fabien, 44 ans, diagnostiqué schizophrène, a été, pour sa part, abattu par des gendarmes à 8h30 du matin, mardi 13 août, à Semide, petit village des Ardennes. Les militaires étaient « en état de légitime défense », ont-ils justifié. Il était armé… d’une fourche. Tué en plein délire, mais peut-être existait-il d’autres moyens de réduire son attitude agressive et violente.
À Semide, on s’en remet difficilement. On aimait bien Fabien, ainsi que sa compagne, tous les deux installés depuis plusieurs années dans un vaste corps de ferme. Fabien était connu ; souriant, habile, il rendait service, et lors de son enterrement, tout le village s’est rendu à l’église. Les hommages ont afflué, les larmes aussi. « À Semide, on y est bien », nous dit le maire, Hubert Oudin, qui aussitôt met en avant le label « village fleuri » du lieu, récompensé de 4 fleurs. Une médaille qui fait la fierté de l’endroit d’à peine 200 habitants. Il y a une jolie église et une pièce d’artillerie rénovée datant de la Première Guerre mondiale, car le village a été longuement occupé par les Allemands.
De Fabien, on ne sait guère de choses. Sa voisine, professeure de judo, ne tarit pas d’éloges sur lui. Au micro de Margot Turgy de France Bleu Champagne-Ardenne, elle dit avec émotion : « En judo, on a un code moral, l’amitié, la politesse, le respect, Fabien avait toutes ses qualités, jovial, souriant, agréable. Il était adorable, il est venu plusieurs fois faire des travaux chez moi, très gentil. Mais voilà, il a une pathologie, et parfois ce n’est plus le Fabien que l’on connaît. Il était hors de contrôle, il était venu la veille au soir sonner chez moi. Je ne lui ai pas ouvert, je savais qu’il n’était pas dans un état correct, et je n’avais pas envie de prendre des risques. En fait, il voulait juste une écoute, pour discuter avec lui, et j’avoue, je n’ai pas eu le courage de lui ouvrir. »
Le maire en est encore ému. « C’est une affaire complexe », dit-il. Selon lui, Fabien et sa compagne étaient « peu investis dans le village, sauf avec quelques voisins » et « on les voyait peu ». « Je l’avais vue la veille, elle était mal, elle pleurait, et manifestement, cela n’allait pas », raconte-t-il. Fabien avait un traitement, et selon toute vraisemblance, il l’avait arrêté, en tout cas c’est comme ça que l’affaire est présentée. En 2021, il y avait eu un épisode, un rien similaire. « J’y ai été confronté, on m’avait appelé », nous raconte le maire. « Il était enfermé dans sa maison et ne voulait pas en sortir. Les gendarmes avaient dû tirer dans la porte, et il avait été hospitalisé, je crois. » Le maire ajoute : « Lorsqu’il prenait son traitement, ses amis et proches disaient qu’il était charmant, agréable. »
La même question revient : que s’est-il passé ? On dit que Fabien était suivi à l’hôpital de Charleville-Mézières, sans qu’aucun psychiatre ne le confirme. D’ailleurs, aucun élément n’est apporté sur le type de suivi qu’il avait après sa dernière hospitalisation. Pourquoi aurait-il arrêté ses traitements ? Y avait-il des effets secondaires pénibles, cause très fréquente d’interruption de traitement ? Peu d’études sont faites sur les raisons d’arrêts de traitements dans certaines pathologies mentales. D’ordinaire, une prise en charge correcte et au long cours, avec un accompagnement soignant, des visites à domicile – surtout en milieu rural – est normalement mise en place pour éviter ces arrêts ou les gérer au mieux. Ce ne fut manifestement pas le cas. Comment savoir ? Est-ce comme dans beaucoup d’endroits en France, où l’état des services psychiatriques est très problématique ?
Angèle, une voisine directe, raconte à France Bleu avoir appelé les forces de l’ordre à 6h30 mardi matin : « Il marchait dans la rue en criant, en disant que c’était l’heure du jugement dernier, des choses comme cela. » Deux premiers gendarmes arrivent, l’homme se barricade dans une cabane à jardin d’Angèle : « Les deux gendarmes sont là, l’un avec un taser et l’autre avec la bombe lacrymogène. […] Il hurle, il demande qu’on l’abatte, que c’est un ordre, que c’est Dieu qui le demande…» Angèle se protège à l’intérieur de la maison. Son mari continue le récit : « Quand je l’ai vu sortir de la cabane, j’étais juste devant, je n’ai pas eu l’impression de le reconnaître. Il était transformé. » Il est reparti dans la serre des voisins, suivi par les gendarmes. « Il avait pris la lacrymo, mais rien ne le calmait. Des renforts de la gendarmerie sont arrivés, tout le monde est monté là-bas, et on a entendu des cris, des cris, des coups de feu… » Fabien a été visé par trois tirs.
Grièvement blessé, il est mort un peu plus tard. « Il était aimé, ce n’était pas le fou du village. C’est une tragédie », lâche le maire. « Je n’aurais peut-être pas dû appeler les gendarmes », a dit une voisine au maire qui se demande toujours comment on aurait pu éviter sa mort. « Quel gâchis », nous disait une ancienne responsable d’un centre de crise à Paris.
Autre interrogation : à l’heure où des « cellules médico-psychologiques » sont créées pour les moindres faits divers, serait-il aberrant de mettre en place lorsque de tels événements surviennent – et ils sont relativement fréquents – des interventions de psychiatres militaires, la gendarmerie faisant partie du ministère de la Défense ?
Éric Favereau et Paul Machto