La santé mentale grande cause nationale ? À VIF, on n’y croyait guère, tant les effets d’annonce sur la psychiatrie se sont succédés depuis quelques années sans aucune suite ni réalité, et cela alors même que les difficultés augmentaient. Et puis il y avait déjà eu tant de causes nationales tombées dans l’oubli, comme une façon de détourner ensuite le regard. Le seul point qui nous retenait était les raisons personnelles de ce choix émis par Michel Barnier, mettant en avant l’engagement de sa mère, et l’on savait qu’en la matière, la proximité change tout.
Puis on s’est dit « Et si on y croyait un peu ? »… Mais voilà que surgissait alors une autre difficulté. Croire en quoi ? Dans ce monde déchiré de la santé mentale, comment avancer sans que cela ne tire de tous côtés, et que finalement rien ne bouge ?
D’où l’idée et l’envie de faire discuter des gens qui pensent parfois différemment, qui s’opposent même, mais qui tous ont un vrai désir d’amélioration. Ainsi, ce mardi 3 décembre, sont-ils venus débattre devant une bonne cinquantaine de personnes. Maëva Musso, présidente de l’Association des jeunes psychiatres et jeunes addictologues ; Emmanuelle Rémond, présidente de l’Union nationale des associations de familles et d’amis de personnes malades et ou handicapées psychiques (Unafam) ; Claire Compagnon, membre du collège de la Haute Autorité de santé (HAS) ; Bruno Falissard, pédopsychiatre et directeur du Centre de recherche en épidémiologie et santé des populations (CESP).
Ils ont débattu pendant près de deux heures. Voilà une grande partie de leurs échanges.
Comment vont la santé mentale et notre psychiatrie ?
Maëva Musso : « Ça ne va pas fort »
En ce qui concerne les jeunes professionnels en tout cas, ça ne va pas fort effectivement. Oui, on est dans le marasme, mais on essaye de continuer à agir, à porter des solutions. Pour nous, cela veut dire agir de manière interprofessionnelle, au-delà de la seule psychiatrie, en impliquant tous les professionnels, avec les proches, les usagers. Car nous n’aurons pas la solution seuls. Aujourd’hui 48% des postes de psychiatres à l’hôpital sont non pourvus, la moyenne d’âge de ceux qui exercent est de 62 ans. Nous sommes à un moment charnière. Lors d’une enquête que nous avons menée auprès d’étudiants en psychiatrie et de psychiatres diplômés, plein de leviers ont émergé : transformer la formation, les pratiques, sortir d’une vision hospitalo-centrée, s’appuyer sur les innovations, par exemple sur la pair-aidance qui se développe et qui est désormais reconnue avec les recommandations de la HAS.
Bref, la grande cause, pour nous, c’est de mettre tous les sujets sur la table… et mettre tout le monde autour de cette table.
Emmanuelle Rémond : « Il n’y a pas de prévention »
Ce qui caractérise les difficultés du système actuel, c’est le retard de plus en plus accentué pour accéder aux soins. Et comme dans un cercle vicieux, en raison de la stigmatisation qui reste attachée aux malades mentaux, ces derniers ne vont pas aux soins.
Nous souffrons d’un manque d’information sur ce qu’est un trouble psy, et donc sur les signes avant-coureurs. Ce manque de connaissance sur les signaux faibles qui devraient nous alerter et permettre des prises en charge rapides et précoces, nous handicape. Et au final, tout cela fait que l’on entre souvent dans le soin en psychiatrie par l’urgence, et on ne sait pas où aller. C’est dramatique. Il n’y a pas de prévention, alors que dans les autres disciplines, on sait –les femmes savent par exemple qu’elles doivent faire des mammographies tous les deux ans. En santé mentale, il n’y a aucun repère. C’est comme si l’on attendait que la tumeur soit énorme pour s’en soucier. On est dans cette situation, les personnes nous le disent, « Quand cela a débuté, je ne comprenais pas ce qui m’arrivait ». Si on informait la population de ce que c’est quand on a des drôles de pensées, intrusives, cela l’aiderait. Mais non, on va voir son médecin généraliste, et celui-ci ne va pas adresser à un psychiatre, car nous sommes le pays où les généralistes adressent le moins à un psychiatre, moins de 5%. Or, il y en a des psychiatres en ville, mais on ne les sollicite pas. Et que font les généralistes ? Ils vont prescrire, ils ne vont pas apporter d’autres réponses, la maladie va progresser et un jour, ce sera l’explosion. Un autre chiffre, dans les centres médico-psychologiques (CMP), les attentes sont souvent dramatiques : plus d’un an d’attente pour les enfants, un délai qui n’a pas de sens. Et ce n’est pas qu’un problème de démographie, car il y a des psychiatres en France. Nous sommes face à un problème d’organisation.
En France, il y a, en densité, 5 fois plus de psychiatres que dans la moyenne des autres pays européens.
(Maëva Musso)
Bruno Falissard : « Il y a plein de choses qui marchent »
On me demande comment vont nos ados ? Ils vont mal, et en même temps, c’est bien plus complexe que cette simple affirmation. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, le suicide en France a considérablement baissé dans les trente dernières années, et cela dans toutes les tranches d’âge avec une seule exception : les jeunes femmes à partir de 2017 chez lesquelles le taux de suicide remonte légèrement. Mais plus généralement, il y avait 800 morts par suicide chez les adolescents et jeunes adultes dans les années 1980, il y en a 250 maintenant. Par contre, on ne peut nier que le volume global de souffrances psychiques exprimées est, lui, bien supérieur. C’est donc une situation paradoxale, difficile à comprendre. Cela doit nous pousser à tenter de comprendre pourquoi cela ne va pas et comment l’améliorer.
Dans ce contexte, à quoi peut servir la grande cause donnée à la santé mentale ? Ce choix est bien sûr très bien, tout le monde s’en félicite mais tout le monde sait aussi que cela n’aura pas d’autre impact qu’un impact symbolique. On peut néanmoins se demander quoi faire, et se pencher et recenser ce qui marche. Car il y a plein de choses qui marchent, des initiatives sont lancées, des jeunes collègues ont souvent beaucoup d’allant, ils ont foi dans leur métier, mais au final, cela fait comme des étincelles dans un paquet mouillé. Cela marche un peu, et puis rien. Un exemple de ces échecs : l’école la plus importante de psychomotricité en France est celle de la Pitié-Salpêtrière. Elle a cinquante ans d’existence. Or, que se passe-t-il ? Cette école va fermer car il n’y a plus d’argent, le ministère de la Santé n’en donne plus. On dit qu’il faut former les professionnels et en même temps, on ferme. Pourquoi ?
Est-ce parce que les psychomotriciens font moins sérieux que les kinés ? Les kinés, c’est très bien mais rappelons-le, il n’y a que peu de preuves scientifiques de leur efficacité et en France, c’est pourtant remboursé par la Sécurité sociale. Il y a d’ailleurs à la Sécu un groupe de travail pour rembourser les soins complémentaires, c’est-à-dire ostéopathie, acupuncture, où là encore, il n’y’ a aucune preuve. Alors qu’en psychiatrie, on met au banc des soins parce que, dit-on, non prouvés. Pourquoi cette différence de traitement ?
Quelque chose de systémique
Tout cela est assez incohérent et incompréhensible. Mon interprétation est que la cause est systémique, avec un dénigrement du psy, la haine du psy et donc du malade. Est-ce une dérégulation systémique totale, tout le monde étant tellement perdu que cela bloque partout ? En tout cas, nous sommes mauvais, tous, c’est-à-dire professionnels, administratifs, politiques, patients, et tous, nous devons nous remettre en question.Et après, que fait-on ?, me direz-vous. On parle de santé mentale et de psychiatrie. Dans santé mentale, les mots clés sont sollicitude, vulnérabilités, ouverture, care… Et dans la psychiatrie, vous avez électrochoc, isolement, contention, et parents violeurs. Tout est mélangé. Comment voulez-vous construire un système, en pédopsychiatrie par exemple, où d’un côté vous dites que les parents sont importants et essentiels, et de l’autre qu’ils sont toxiques ? Nous sommes tous un peu tordus dans notre tête, c’est pour cela que l’on a une haine du psy, de nous car on ne veut pas reconnaître que l’on est un peu barge. Il faut le dire : vouloir gérer rationnellement la folie est une aporie. Et on le voit bien avec les neurosciences qui seraient censées apporter une explication et nous guérir, mais voilà, cela ne marche pas, du moins cela ne marche pas tout le temps.
Claire Compagnon : « Cela continue d’aller mal, voire très mal »
Oui, cela va mal, et ce qui ressort et qui est le plus marquant pour moi, c’est la diversité des pratiques en psychiatrie. On n’est pas soigné de la même façon d’un étage à l’autre, d’un service à l’autre, d’un hôpital à l’autre, d’une ville à l’autre. Cela relève sans doute de la singularité et de la complexité de la maladie psychiatrique, mais cela n’est pas acceptable dans un État moderne comme le nôtre. On n’arrête pas de dire qu’il n’y a pas assez d’argent dans la psychiatrie. Pourtant, il y a beaucoup, beaucoup d’argent, et même il n’y en a jamais eu autant. Ce constat est là, et cela continue d’aller mal, voire très mal. On peut se dire que cela est dû à l’immensité de la souffrance psychique, en particulier depuis le Covid, mais en même temps, je le redis, il y a des moyens. Cherchez l’erreur, où cela ne va-t-il pas ?
L’hypothèse est que l’on est tous un peu fous – pourquoi pas ? –, mais cela me paraît un peu court. Il y a d’autres raisons, des choses qui ne vont pas. Par exemple, l’impression – que j’ai peu à peu ressentie et qui s’est construite pendant les cinq ans où j’ai été Déléguée interministérielle aux troubles autistiques – de voir la diversité des pratiques, et parmi elles, de très mauvaises pratiques qui allaient totalement à l’encontre de tous les acquis de la science. Or, parallèlement, on est confronté à une grande difficulté de réorganiser différemment. C’est comme si les réformes des années 1970 qui ont conduit à la création du secteur étaient devenues immuables, que rien ne devait bouger. Comme si le niveau d’information de la population n’avait pas changé, comme si les changements de générations et de pratiques, comme si la transformation du rapport à l’hôpital ou à la maladie psychique, comme si tout cela n’avait pas existé.
Aujourd’hui quand on est un malade, on devrait savoir où il faut aller, et quand, et avec quelle graduation des soins. Comme cela se passe pour les autres pathologies. En psychiatrie, on ne sait pas, personne ne le sait, c’est illisible pour la population, mais cela a aussi comme conséquence d’être peu attractif pour les professionnels. Je crois que tant que l’on ne voudra pas toucher à cette question du parcours du patient en psychiatrie, on ne bougera pas. Or, on n’arrive toujours pas à se mettre autour de la table pour se dire « Qu’est- ce que l’on fait, par exemple, de ce secteur, qui est une avancée, qui était une garantie d’une prise en charge de proximité mais ce qui n’est plus le cas aujourd’hui ? » Est-ce qu’il faut faire des hiérarchies, des graduations ? C’est une discussion qui reste bloquée aujourd’hui.
Les disparités de pratiques
Maëva Musso : « Le manque de recommandations »
Il faut aussi intégrer à la réflexion que 50% des déterminants de santé mentale sont socio-environnementaux, d’après l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Quant à la question des pratiques, il y a effectivement une grande disparité en fonction des établissements, par exemple sur l’isolement et la contention. Certains établissements tendent vers le « zéro isolement/contention » alors que d’autres les pratiquent toujours autant. Cela interroge à la fois sur le manque de recommandations de bonnes pratiques en psychiatrie, et sur la formation des professionnels. Affranchir la psychiatrie de ses pratiques les plus stigmatisantes est nécessaire pour le respect des droits et de la dignité des personnes. C’est aussi une manière de lutter contre la stigmatisation, et un vecteur d’attractivité pour la spécialité.
Emmanuelle Rémond : « On doit nous écouter »
Bruno Falissard évoque un problème systémique, je suis d’accord, mais j’ajouterai que l’on n’a toujours pas quitté le pouvoir psychiatrique. Le psychiatre est là, il reste tout puissant dans une optique asilaire. Nous sommes toujours dans cet univers-là, avec trop de psychiatres qui décident de tout. Certains font des choses géniales, et d’autres pas, avec une place variée donnée aux familles. Mais globalement, celles-ci ne sont pas écoutées. Nos patients sont dans une grande vulnérabilité, et nous, les aidants familiaux, nous sommes présents et utiles. On doit nous écouter, on sait des choses, on doit pouvoir les dire. Quand on a la chance d’avoir un psychiatre qui connaît et pratique la psychoéducation (s’appuyer et former le patient et ses proches sur ces capacités, ndlr), et que l’on sait que la psychoéducation constitue la prise en charge la plus efficace après celle du traitement médicamenteux, et bien cela change tout. Mais on peut aussi tomber sur un psychiatre qui n’en veut pas, qui répète que les familles sont dysfonctionnelles ou toxiques. Voilà, c’est cela notre malheur, et c’est inadmissible pour nous.
Bruno Falissard : « Il y a une violence légitime »
Aujourd’hui, tout le monde est d’accord pour dire qu’il faut une graduation des soins. Nous sommes les premiers à souffrir des listes d’attente dans les CMP, et le fait de ne pas soigner les gens est pour nous horrible. Mais il y a aussi des progrès. Sur l’attitude vis-à-vis des familles, il y a vingt ans, trente ans, c’était pire, aujourd’hui, cela va mieux. Les jeunes sont bien plus ouverts. Mais pour autant, pourquoi subsiste cette image du psychiatre, autoritaire et asilaire ? N’est-ce pas parce qu’il y a une ambivalence sociétale vis-à-vis de la psychiatrie ? Qu’est-ce qui différencie la figure d’un psychiatre et celle d’un psychologue ? Je crois que c’est la figure d’autorité. Par moment, on a besoin de quelqu’un qui tranche, qui gère l’équipe, qui signe les certificats. Il y a une violence légitime, permise par la société, et autorisée aux psychiatres. C’est une représentation sociale. Et nous sommes à un moment où il faut aider les psychiatres à se déconstruire de cette position.
Échanges avec la salle
Roger Ferreri, psychiatre : « Psychiatre, c’est aussi être contre la psychiatrie »
Je suis inquiet car ce que j’entends, c’est ce que j’ai entendu quand j’étais jeune psychiatre, il y a cinquante ans, et cela nous revient. Quand Mme Compagnon dit qu’il n’y a jamais eu autant d’argent en psychiatrie, c’est faux et j’en donne un exemple : en 1975, j’étais jeune interne dans un service de 450 lits, avec 460 malades, mais… 160 infirmiers. C’était cela, le paysage asilaire, un paysage où il y avait beaucoup plus d’argent que maintenant.
Sur la place de la science, c’est compliqué. Qu’est-ce que veut dire la psychoéducation ? La psychiatrie n’est pas une médecine d’organes. J’ai 75 ans, cet après-midi, j’étais dans une école en train de défendre un enfant handicapé pour que l’on s’occupe de lui. Les personnes autour de lui étaient d’une grande qualité, ils se décarcassaient, et ce n’était pas une question d’organe.
L’autisme, maintenant. Je connais, je m’en suis occupé. En 2000, on m’a convoqué pour me dire « On veut des diagnostics précoces ». Je leur ai dit que nous faisions plutôt le diagnostic ultra tardif, car si l’on s’aperçoit qu’un patient est autiste à l’âge de 77 ans, c’est autant de temps gagné pour lui socialement. Je le redis, la pathologie que l’on prend en charge, ce n’est pas la maladie d’un organe, c’est une pathologie d’une relation au monde. Dire que c’est un trouble neurodéveloppemental veut dire que l’on sait ce qu’est le développement normal du cerveau.
Pour moi, la psychiatrie est une pratique politique, il s’agit de savoir comment on vit dans la cité. Psychiatre, c’est aussi être contre la psychiatrie.
Le cas de l’autisme
Claire Compagnon : Dire cela est dépassé. Sur les troubles de l’autisme, tous les pays du monde l’ont reconnu. Et je pourrais aligner, aujourd’hui, le nombre de situations de pertes de chances pour des enfants que l’on n’a pas diagnostiqués, ce sont des enfants qui ont perdu la chance de pouvoir parler, de communiquer, d’acquérir la motricité. Une étude, faite à Parme en Italie, a demandé aux parents d’enfants diagnostiqués d’autisme bien plus tard de ramener toutes les vidéos qu’ils avaient faites de leur enfant quand il était bébé, nourrisson. Ces vidéos montraient déjà des signes de troubles présents chez les nourrissons, il suffisait de regarder.
Bruno Falissard : Tout n’est pas pareil. D’un côté, Greta T. n’a pas un trouble du neurodéveloppement. Elle est certes autiste, mais sa position d’être différente dans la société ne relève pas de la société. De l’autre côté, nous, pédopsychiatres, nous voyons des enfants qui ont un autisme profond, et bien sûr, cela a à voir avec un problème de développement du système nerveux central. Et il faut, pour eux, une prise en charge précoce
Une voix, dans la salle : Mais quelle est l’importance de l’étiquette sur l’évolution du malade ?
L’hétérogénéité des pratiques
Une patiente concernée, membre d’HumaPsy : D’accord, il faut parler, inclure les familles, on en est tous convaincus. Mais une pratique standardisée, je ne sais pas, cela me fait un peu peur. Comment s’accorde-t-on sur ce qui est bien ou pas bien ?
Maëva Musso : Nos pratiques doivent évoluer. Or ces pratiques mettent beaucoup de temps à se transformer. Une attention toute particulière doit être portée à la surprescription et à la possibilité pour les personnes en soin d’avoir accès à une offre des soins englobant la déprescription. C’est une demande des usagers depuis de nombreuses années. Il existe un mouvement à l’international en psychiatrie pour accompagner le développement d’une offre de soin de déprescription, prenons ce train en marche !
Emmanuelle Rémond : Cette hétérogénéité des pratiques est là, elle peut offrir le pire comme le meilleur. Exemple : une personne qui a témoigné à l’Unafam nous a expliqué qu’elle a pesé jusqu’à 190 kilos, qu’elle a passé 17 ans assise dans son fauteuil, le psychiatre ne s’occupait que de ses symptômes et n’avait pas une approche psychosociale, c’est-à-dire sans se poser la question de la réintégrer dans la société. Elle souffrait d’un problème d’entendeurs de voix ; on lui donnait un traitement de plus en fort pour qu’elle n’entende plus de voix, mais elle n’en pouvait plus. Coincée chez elle, elle a mis plus de quinze ans à dire à son psychiatre qu’elle ne supportait plus la force de ses traitements. Sa mère a entendu parler du réseau des entendeurs de voix, et elle a ainsi appris, par leurs conseils, à gérer ses voix, par la pair-aidance, entre patients.
Roger Ferreri : Il faut absolument sortir des positions figées :« Moi, je sais ce qu’il faut faire et comment soigner ». Il faut mettre en synergie les pratiques, mais ne pas détruire ce qui marche. Nous avons détruit ce qui marchait. Il y a vingt ans, trente ans, les services étaient tous ouverts, nuit et jour. Le paysage était différent. Dans notre service, il y avait par exemple une banque pour les patients. Et maintenant que se passe-t-il ? On a reçu, via l’Agence régionale de santé, des directives sur comment il fallait travailler. Ahurissant. La psychiatrie est fondamentalement hétérogène, c’est compliqué… Ce ne sont pas seulement les moyens qui ont manqué, mais on a empêché que les marges existent.
Bruno Falissard : Je suis d’accord sur le fait qu’il n’y a pas de nécessité que le soin soit toujours homogène en psychiatrie. Les arguments scientifiques, on le sait, reposent sur des moyennes, mais les moyennes excluent les écarts, cela justifie que dans certains cas on puisse imaginer des prises en charge différentes.
Je fais partie des malades. On est à l’hôpital, enfermé, attaché, moi je ne l’étais pas, par chance. Ce qu’il faut dire, c’est que la psychiatrie torture. Le vécu intérieur, c’est de la torture, je suis contre la torture car la Convention des droits de l’homme est contre, j’aimerais que cette ratification soit faite. Moi, je suis enfermé, je crie, je crie, et on me donne du Valium®, la seule personne qui nous parle c’est l’horloge. Là où cela fonctionne le mieux, c’est le centre d’accueil et d’urgence, sauf quand j’arrive à 3 heures du matin et qu’ils me ferment la porte. On finit à l’hôpital psychiatrique alors que l’on a demandé du soin.
(Joan)
La sectorisation
Marta Spanzi, philosophe : La sectorisation n’est pas toujours juste. Les usagers devraient pouvoir choisir si les pratiques sont hétérogènes. Avec le secteur, on ne peut pas. C’est injuste. Il faudrait aussi une transparence.
Roger Ferreri : La sectorisation n’a jamais été obligatoire, c’est une possibilité, le patient devrait pouvoir choisir.
Bruno Falissard : Dans un même secteur, il devrait y avoir une hétérogénéité de pratiques et de positions. Car on doit proposer un peu de tout.
Une psychologue : On peut choisir son secteur, c’est dans la loi, mais en pratique, ce n’est pas possible. Et dans la pratique, ce n’est pas homogène, il y a de la maltraitance, il y a des soins variés, c’est parfois inacceptable. On veut de la qualité dans le respect des droits des personnes.
Comment faire ?
Une psychologue : J’ai assisté à beaucoup de changements. Avant, on faisait des projets avec les équipes, mais le problème est aujourd’hui de recruter des soignants. Il reste des gens qui veulent faire des choses, mais comment faire ? Il y a de moins en moins de pédopsys, mais on a des psychologues. Il faut travailler avec eux. Travaillons ensemble, cela porte ses fruits.
Claire Compagnon : Pour sortir de ce marasme, il y a et il faut des professionnels de bonne volonté qui veulent faire évoluer les choses. Et il faut aussi s’appuyer sur des grands principes, sur des valeurs qu’il ne faut pas transiger. L’usage de la contention et de l’isolement dans notre pays n’est pas acceptable. Il faut le dire, j’ai été récemment dans un hôpital où il y avait 10 chambres d’isolement, mais il y avait aussi un service où le chef de service avait décidé qu’il n’y aurait pas de chambres d’isolement dans son service. Cette chambre a été ainsi transformée. Et cela a fonctionné. Lui y arrive. En Islande, il n’y a plus de contention.
Maëva Musso : Oui, mais les prescriptions de médicaments ont augmenté.
Claire Compagnon : Tout à fait. Il n’empêche, qu’est-ce qu’on fait ? Il faut que la profession se positionne.
Une médecin généraliste : Je reviens sur les médecins généralistes qui ont été attaqués. Il y a au moins 30% des personnes qui consultent chez nous pour des problèmes mentaux, plus ou moins graves. On fait du mieux. On renvoie dans les secteurs et ce n’est pas catastrophique partout. On devrait aussi parler des infirmiers, ils sont la clé. Et les psychiatres ? À Paris, c’est l’endroit où il y en a le plus, mais ils sont chers.
Maëva Musso : Il nous faut aller vers une meilleure articulation entre psychiatrie libérale, privé et public, à l’échelle des territoires. Le secteur, qui est un héritage précieux, visait à l’égalité aux soins entre différents territoires. Aujourd’hui, il faut garantir la même qualité de soins sur chaque territoire, et chaque acteur a sa part à prendre. Il faut aussi que la psychiatrie retrouve le goût du débat, et inclut dans le débat tous les psychiatres, quels que soient leur mode d’exercice, leur âge, leur expérience. L’importance des enjeux s’impose.
Bruno Falissard : De fait, on n’est pas en si désaccord que cela. Il faut maintenant arriver à délibérer ensemble.
Claire Compagnon : Construisons ensemble. C’est cela qui marche, l’alliance entre professionnels, famille et usagers.
Emmanuelle Rémond : Parlons-nous, entre médecins, usagers familles, etc. Quand cela circule, cela marche.