Médiathèque – Toucher l’insensé

Tous insensés (Éric Favereau)

Comment garder le contact avec la folie ? À l’occasion de l’exposition « Toucher l’insensé » au Palais de Tokyo à Paris, c’est la question qui demeure. Voilà trois lieux du passé sur lesquels s’attardent cette exposition, ouvrant de petits morceaux d’archives restées dans les cartons, et les bandes vidéo dans les boîtiers entre 1950 et 2000.

Tout d’abord, le Centre familial des jeunes (CFDJ, 1950) dont le gardien de la mémoire – Joe Finder directeur du Centre de Vitry-sur-Seine (puis du Plessis-Trévise jusqu’à sa retraite en 1991) – nous offre des rushs de ses films (amateur) sur les activités et les jeunes. Ensuite, des morceaux de la psychiatrie au Maroc, à l’hôpital Berrechid (1980), autour du psychiatre Ziou Ziou et ses tentatives de fidéliser ses patients. Enfin, l’éternel clinique de La Borde, haut lieu de la psychothérapie insituionnelle prés de Blois, dont on ne se lasse pas, avec les films de François Pain – ancien accompagnant du lieu – sur les inventions de rôle de la « psychothérapie institutionnelle », et le Félix Guattari découvert allongé sur le divan même réservé à ses « analysés » (1980).

En quatre salles, le tour des petites inventions se joue autour de photographies de ces trois lieux, souvent des groupes de parole, des groupes centrés sur des activités de théâtre, de couture de costumes (exposés dans une salle), de dessins ou d’ateliers d’écriture avant l’heure. On y trouve quelques archives de Stanislaw Tomkiewicz – pédopsychiatre – abondamment lu sur la psychiatrie de l’enfant (dans les années 1970). Il en est question dans le Journal du droit des jeunes présentant des archives du « Docteur Tom », des groupes thérapeutiques en somme qu’il accompagnait auprès du fameux Joe Finder de Vitry-sur-Seine.

Sur le flanc marocain, c’est comme une pratique psychiatrique européenne embryonnaire que l’on découvre, qui coexiste avec des savoir-faire traditionnels, auxquels il est fait appel en priorité. En 1984, le psychiatre marocain Ziou Ziou confirme que tous ses patients ne le consultaient qu’après avoir épuisé les différents recours thérapeutiques dispensés par le champ de la pratique curative traditionnelle. Le voile se lève doucement sur ces thérapies traditionnelles. On comprend que la psychiatrie ne marche pas trop comparée à la force des thérapeutes locaux. Aucun patient ne vient, si ce n’est en extrême urgence, et toujours par l’intermédiaire d’un membre de sa famille.

Enfin, les films sur Jean Oury, fondateur donc de la clinique de la Borde, qui accorde de longs moments d’entretiens concernant sa propre histoire, celle de sa clinique, et par là-même l’histoire de la psychiatrie, de la Seconde Guerre mondiale à aujourd’hui. Dès le premier entretien, il évoque ce film : « Un film qui m’a beaucoup frappé, j’irais même jusqu’à dire que c’est le film de La Borde… c’est Zéro de conduite de Jean Vigo… » Une phrase qui passe : « Dans la tête, il y a toute une volière, une polyphonie permanente, des criaillements, ça parle tout le temps, c’est rare que ça fasse silence. »

Peut-être faut-il cesser de se centrer sur les psychiatres magiciens et autres conteurs, pour se tourner vers la parole des silencieux pensionnaires ? Comment faire advenir des courants de paroles ? Comment fabriquer du « dire » pour qu’il y ait du « dit » puis du « possible » ?
L’héritage est à réexaminer par les générations suivantes – médecins, personnels soignants et administratifs, pensionnaires et amis – pour faire vivre ces petites utopies bien réelles.

Jean-François Laé