Il fallait bien ce grand format et ce papier élégant pour rééditer les huit poèmes écrits par Paul Éluard lors de son séjour à l’asile de Saint-Alban au cours de la Seconde Guerre mondiale. Il fallait aussi ne pas hésiter à disposer des pages blanches ici et là pour que le lecteur puisse prendre la mesure de ces vers rédigés dans ce lieu à la fois de soin, de refuge et de résistance que fut ce vieux château de Lozère, grâce à la figure du psychiatre catalan François Tosquelles. Il fallait enfin faire ce choix, afin de ne pas décontextualiser ces Souvenirs, d’accompagner ce texte d’un appareil critique informatif et joliment enrichi, grâce à Joana Maso, d’une série de photographies du poète et de sa femme mais aussi du couple Bonnafé.
Si ce livre doit marquer pour toutes celles et ceux qui sont attentifs à cette histoire parallèle, qui parfois croise celle assurée inscrite dans les manuels de médecine, de littérature ou d’histoire, c’est d’abord par la puissance du poète :
« Le visage pourri par des flots de tristesse
Comme un bois très précieux dans la forêt épaisse
Elle donnait aux rats la fin de sa vieillesse
Ses doigts leur égrenaient gâteries et caresses
Elle ne parlait plus elle ne mangeait plus »
Mais cette édition s’impose par la reproduction des dessins réalisés par le peintre Gérard Vulliamy, futur mari de la fille d’Eluard, lorsqu’il vient durant l’été 1945 dans l’hôpital sur ce plateau du massif central. Ces quelques portraits de patient.e.s dont Augustin Forestier, connu pour ses sculptures, sont admirables tant elle dégage grâce à leur extrême sobriété, une juste émotion. On ne regarde pas des portraits de fous et de folles, mais d’hommes et de femmes qui pourraient être nos enfants, nos parents, nos frères et sœurs.
Philippe Artières
Paul Éluard, Souvenirs de la maison des fous,
dessins de Gérard Vulliamy, Seghers (2023)