Depuis 2015, les témoignages recueillis par l’Observatoire et défense des droits des usagers (Oddu-Paca) mettent des mots sur les discriminations dont sont victimes les personnes atteintes de pathologies mentales et les consommateurs de substances psychoactives, notamment dans le système de soins. Comme Hippo, mis sous tutelle pendant deux ans à la place de son frère jumeau.
« J’avais huit mois à faire, je les ai faits. En sortant, je suis retourné chez mon frère à Toulon, où habitait aussi ma mère. J’ai fait tous les changements de Marseille à Toulon, sauf que ça a bien mis sept mois. Entretemps, j’ai fait mes papiers, je me suis inscris en intérim et je travaillais. Au début, ça se passait bien, je bossais, et comme j’habitais avec ma mère et mon frère, je participais, je donnais de l’argent.
Puis mon frère jumeau est lui aussi sorti de prison, et c’est là que l’histoire a commencé. Ma mère l’a attrapé, l’a un peu baratiné et ils se sont rendus chez un médecin à l’hôpital. Ma mère lui avait dit de se faire passer pour fou et pour moi, enfin pas fou fou mais… Je ne sais pas comment ils ont magouillé ça ni pourquoi elle a fait ça. Sûrement pour me contrôler mais surtout, avoir la main sur mon compte et mon argent.
Quand j’allais travailler, je laissais mes papiers à la maison parce que je les avais déjà perdus plusieurs fois. Ils les ont pris, ont fait des fausses signatures, je ne voyais pas la couleur des courriers que je recevais, et dès que les papiers de la tutelle sont arrivés, ils ont tout planqué, ils ont signé, et voilà. Elle s’est présentée au tribunal avec son avocat et mon frère jumeau, et ils ont fait une mise sous tutelle. Et pas pour deux-trois ans, pour dix ans, cent vingt mois !
Moi, je n’en savais rien, et c’est quand j’ai refusé de me mettre en colocation avec ma sœur descendue de Paris qu’elle m’a lancé « de toute façon, on s’en fout, on t’a mis sous tutelle, on pourra faire ce qu’on veut ». C’est elle qui me l’a annoncé comme ça, devant mon petit frère. De là, c’est parti les embrouilles. Ma mère a fini par me dire que je n’étais pas chez moi et que si je n’étais pas content, je n’avais qu’à partir. « De toute façon, tu es sous tutelle, si tu fais ton malin, j’appelle Pierrefeu (un hôpital psychiatrique), on te fait interner… ». J’ai pris mes affaires, retour à Marseille.
Là, j’ai essayé de refaire ma CMU mais je n’ai pas réussi parce que j’étais sous tutelle. Quand je suis allé à la CAF, on m’a dit qu’on n’avait rien à me dire parce que j’étais sous tutelle. Je n’avais pas d’argent, mais quand j’ai voulu faire un retrait à la Poste, on m’a dit que je ne pouvais pas retirer, qu’il fallait que j’aille à mon bureau. Je me suis présenté là où j’avais ouvert mon compte et on m’a dit « non, vous ne pouvez plus retirer, vous ne pouvez plus rien faire, vous êtes sous tutelle ». Je travaillais encore, et je ne pouvais pas toucher mon salaire, je ne pouvais plus rien toucher, seule ma mère avait accès à mon argent.
Le problème, c’est que c’est passé en jugement, et que le jour où c’est passé devant le tribunal, il y avait ma mère et mon frère, mais moi, je n’y étais pas. Un psychiatre agréé par les tribunaux a dit m’avoir vu, que j’étais un légume incapable d’avoir un jugement moral, alors qu’en même temps, je travaillais… Donc soit mon frère est un excellent acteur, soit l’expert psychiatre s’est fait berner. Il lui a suffi d’une seule entrevue pour prendre sa décision, sans dossier médical antérieur, un jugement sur très peu d’éléments. Ma mère a fourni l’attestation d’un médecin disant être mon médecin traitant, qu’il me suivait depuis tout petit, alors que je ne le connais ni d’Ève ni d’Adam. Je pense qu’il y a eu un petit billet de glissé pour qu’il fasse ça. J’ai réussi à retrouver le numéro de mon médecin traitant mais il m’a dit qu’il était à la retraite et qu’il ne pouvait rien faire, il n’a pas voulu se mouiller.
Ce n’est pas normal que ça se passe comme ça, on arrive, on met quelqu’un sous tutelle du jour au lendemain, et on ne lui dit rien. Une assistante sociale m’a parlé de l’Oddu, alors j’ai entamé les démarches, on m’a trouvé une avocate. La procédure pour faire lever la tutelle a pris un an. Je vivais dans des squats et je faisais des petits boulots au noir. Il y a sûrement dû y avoir un défaut quelque part, parce que quand le juge a commencé l’audience, il a dit « je ne sais pas ce qu’a fait mon prédécesseur, mais effectivement, il doit y avoir un problème ».
Aujourd’hui, je n’ai plus aucun contact avec ma mère et je vais porter plainte au pénal pour trouver les responsabilités, entre le juge, l’expert psychiatre… Mais mon dossier a bizarrement été archivé super rapidement (en trois semaines), mon avocate dit que les juges se couvrent entre eux. Donc on essaye de récupérer le dossier aux archives pour ensuite porter plainte. »
Isabelle Célérier