À l’occasion d’une exposition sur l’histoire de René L., au Mucem à Marseille, VIF organise un débat sur les fragilités et la psychiatrie, le vendredi 25 février.
L’histoire de René ? Ce sont sur ces tas de papiers « à jeter », ces strates délaissées, que notre regard a buté un jour de visite de bâtiments asilaires destinés à la destruction. La grande pièce qui avait été pendant un siècle un dortoir collectif d’agités est devenue le réceptacle d’un ensemble de cartons. Là, contre un mur de cette salle de cet hôpital psychiatrique, nous avons trouvé d’épais rouleaux de papiers. Lorsque nous avons déroulé ces feuilles, sont apparus des dizaines de dessins, les uns tracés seulement au crayon noir, les autres coloriés consciencieusement. Qu’étaient ces dessins ? Le produit d’un atelier thérapeutique ? Des œuvres d’art brut ? Des archives ? Des signes énigmatiques laissés par un individu se prénommant René – chacun des dessins était signé.
René Louis L. est né à Perregaux (Oran) le 16 mai 1920. Ses grands-parents ont quitté l’Alsace en 1870 à la suite de la défaite et sont partis s’installer dans l’Oranais. René a passé toute son enfance dans cette petite communauté coloniale. Mais passé la vingtaine, il est hospitalisé de manière quasi ininterrompue dans différents établissements en Algérie – dont l’hôpital régional d’Orléansville puis celui de Blida, pour des troubles mentaux, relevant de la catégorie de la schizophrénie. En 1963, plus d’un an après l’indépendance, il est rapatrié avec plus de cent cinquante autres malades, hommes et femmes psychiatrisés à l’hôpital de Blida, vers l’hôpital psychiatrique privé du Bon-Sauveur à Picauville dans la Manche. Le certificat d’entrée précise : « Délire chronique de structure imprécise à thème hypocondriaque ». René L. demeurera tout le reste de sa vie à Picauville.
De René, ne nous reste que cette quarantaine de dessins. Quel texte composent-ils ?
C’est une exposition pour résoudre l’énigme. Partir à la recherche de René L. Non dans les archives de l’état civil ou des institutions psychiatriques, mais dans l’Histoire, la grande. Celle qui fait l’objet de traités, celle qui dessine les villes, celle qui détermine nos existences. Inventer René à partir des images, des documents, des archives, des œuvres. Ne pas avoir peur d’accrochages fragiles, d’associations improbables. Risquer l’histoire ; suivre René L. Et peut-être, de trace en trace, explorer une autre mémoire de notre présent.
On y croisera notamment le philosophe Michel Foucault, l’écrivain Georges Perec, le psychiatre Frantz Fanon ou encore l’architecte Fernand Pouillon, mais aussi des œuvres de Sol LeWitt, Étienne Martin, Fernand Léger, et Germaine Richier.
Philippe Artières
Histoire(s) de René L.
Mucem, Fort Saint-Jean, du vendredi 25 février 2022 au dimanche 8 mai 2022
Commissaires : Philippe Artières, historien, directeur de recherches au CNRS (Iris, EHESS, Paris-Condorcet), et Béatrice Didier, co-directrice du Point du Jour, centre d’art, éditrice et enseignante.