Le Dr Jean-Dominique Gonzalez, psychiatre, chef du secteur à l’hôpital de Millau (Aveyron), est un homme intègre. Il a travaillé, fait son boulot avec sérieux et honnêteté. Il a appris. Il a vieilli. Il a près de 65 ans. Et il pensait avoir réussi à construire quelque chose de solide.
Début juin, au cours d’une brève conférence de presse, il s’est effondré, en racontant sa mésaventure. Il parlait alors aux journalistes, expliquant que « c’était fini », que « [son] collègue a dû quitter le territoire français le 31 mai », et qu’il se retrouvait quasi seul, avec seulement un autre médecin à diplôme étranger pour suivre une population de près de 80 000 personnes. Et cet homme solide avec une longue et forte expérience s’est d’un coup arrêté.
Il nous raconte la scène, sans faux-fuyant, comme un trop plein qui déborde. En tout cas, il ne s’y attendait pas. « J’ai craqué. Les larmes m’ont monté aux yeux. On avait essayé des solutions depuis un mois, et je me suis dit que l’on était dans un monde de fous. On est là, dans un combat juridique, à chercher des solutions, alors que notre travail, c’est le soin. C’est d’aider. Mais où est-on ? Car ce sont quand même les autorités de tutelle qui devraient faire quelque chose, c’est la préfecture qui devrait trouver une solution. Face à cette intransigeance, ma passion dans le service public s’est cassée. Cela m’a provoqué un effondrement intérieur, ce que je n’avais jamais connu. » Puis : « Les Padhue1, ces fameux médecins à diplôme étranger, c’est eux qui viennent nous aider, ce n’est pas l’inverse. S’ils n’étaient pas là, le système français s’effondrerait. » Cet homme d’ordinaire discret ajoute : « J’ai quitté la salle [de la conférence de presse], je ne pouvais pas rester là. Des patients m’attendaient, mais je ne pouvais pas non plus. Je me suis dit qu’il fallait que je fasse un arrêt avant qu’il ne soit trop tard, je l’ai dit aux soignants. » Depuis ce vendredi, il est en arrêt maladie. Un épilogue dramatique à une affaire ubuesque.
Le départ de trop
À l’hôpital de Millau, s’en est suivi la stupeur. Et la crainte. Car tout le département du secteur de psychiatrie du Sud-Aveyron fonctionnait déjà avec seulement trois postes de psychiatres. Le départ programmé de l’un rendrait à coup sûr la vie intenable aux autres. Une manifestation a beau avoir eu lieu, le maire s’être décarcassé, le personnel aussi. Une motion de soutien votée aux deuxièmes Assises citoyennes nationales du soin psychique, mais rien n’y a fait. La machine administrative a continué son petit bonhomme de chemin.
Quand il en parle, Jean-Dominique Gonzalez a l’impression d’un gâchis, d’une vie qui s’effondre. Cela faisait plus de trente ans en effet qu’il exerçait à l’hôpital de Millau. « On avait le sentiment d’avoir construit quelque chose d’humain. Quand j’ai commencé comme jeune interne dans le département, les hommes et les femmes étaient séparés, on avait des trousseaux de clés car toutes les portes étaient fermées. Nous, on était portés par l’idée de mettre les malades dans la ville, par la psychothérapie institutionnelle : soigner aussi les murs. Et on est arrivés à faire du bon travail. » Ils étaient ainsi près de six psychiatres dans le secteur. « Dès 2004, on a vu qu’avec la crise de la démographie médicale, avec les 35 heures, la féminisation, on allait vers des difficultés. » À partir de 2013, arrive, comme une rustine, le recours aux médecins à diplôme étranger. « Ils étaient bien formés. J’avais des contacts avec la Tunisie. » Et jusqu’à récemment, en dépit des restrictions, ils ont ainsi pu tenir à quatre puis à trois psychiatres pour tout le secteur de Millau. Et là, c’est le départ de trop. Que va-t-il rester ?
Éric Favereau
1) Praticiens à diplôme hors Union européenne