Le diagnostic psychiatrique dans tous ses états

Schizophrène, autiste, neuro-divers, normal. Aujourd’hui les frontières sont floues, des diagnostics se font et se défont en santé mentale. Jamais il n’y en a eu autant, jamais ils n’ont été autant contestés. Le jeudi 16 mai, nous en avons débattu avec Bruno Falissard, pédopsychiatre ; Juliette Speranza, philosophe, membre de France neuro-diversité, Olivia et Fred, membres de l’association d’Humapsy. Nous étions plus d’une cinquantaine. Ce furent des mots et des réactions dans tous les sens. En voici quelques extraits, choisis de façon un rien aléatoire, mais qui rendent bien compte combien « Fou, divers, dis moi mon beau miroir » dessine une foule d’images aux couleurs incertaines.

Bruno Falissard, pédopsychiatre

Dans les dix dernières années, la question du diagnostic a changé radicalement. Un exemple ? Aujourd’hui il arrive qu’un adolescent vienne vous voir et nous dise : « Voilà je suis TDI, je viens, mais tout va bien. » De quoi être un peu surpris. C’est un renversement complet, au point même que dans nombre de cas le diagnostic est devenu comme une identité.

Je prends un autre exemple ; une mère vient nous voir et nous dit : « voilà, mon enfant est autiste ». On peut lui répondre : « D’accord, mais y a-t-il un souci ? Votre enfant est comme Greta Thunberg, et ce n’est pas une mauvaise projection. ». Que faire, comment réagir ?

C’est dans ce contexte, donc, que se pose la question de la neurodiversité.  D’abord un constat, ce concept vient de la base et non d’en haut. Il part de cette idée, qu’il y a des différences, que tout le monde est différent, et que l’on peut être différent dans le fonctionnement de son cerveau.  Mais est ce que toute différence en fait partie ? Selon les adeptes de la neurodiversité, par exemple l’épilepsie ou le traumatisme crânien n’en font pas partie, parce que l’on peut retirer cette caractéristique sans effacer des éléments fondamentaux de son individualité. Mais est-ce si sûr ? Et quid des troubles du neurodéveloppement ? Pour ceux-là, c’est une classification qui vient des savants : elles ont beaucoup de succès, mais qui les définit ?

Au final, nous nageons en plein chaos sémantique ; dans un cas on parle d’une identité, dans un autre cas d’un déficit neurologique, d’autres évoquent un comportement déviant.

On passe ainsi d’un discours de l’un à l’autre, dans une grande confusion. Pour autant, ce qui me frappe, c’est que l’on laisse peu ou pas de place pour ce que j’appelle l’intériorité dans nos vies, dans nos relations. Notre intériorité, elle est, elle existe quelle que soit notre culture, On l’appelle l’âme, la pensée, l’intimité. On a une intériorité, mais elle est ignorée.

Juliette Esperanza, philosophe

La neurodiversité est, comme on l’a dit, un concept qui vient de la base, inspiré de mouvements sociaux. Il part principalement des personnes autistes, puis il s’est ouvert et a pris une forme politique.

Ce concept a été créé à la fin des années 90 par Judith Singer, chercheuse australienne. Héritière des mouvements anglo-saxons sur le handicap, avec la notion de validisme, elle part de l’oppression que peuvent souffrir les personnes différentes.

Aujourd’hui, de plus en plus de gens se font diagnostiquer, ou reçoivent un diagnostic. Mais qu’est-ce que cela veut dire si la moitié des personnes d’une société se retrouvent ainsi porteuses de troubles ?

Le diagnostic a parfois une dimension libératrice, de progrès, voire d’émancipation. Mais il est aussi excluant comme on le voit dans le système scolaire, avec une stigmatisation très forte où l’on va enfermer dans une case, où l’on va supposer une souffrance, ce qui n’est pas toujours le cas.

Ainsi, la création de communautés d’autistes a été libératrice, et en même temps cela a été un facteur excluant

Fred, d’Humapsy 

C’est troublant, on a vu apparaitre des gens qui arrivaient avec leur propre diagnostic, auto-diagnostiqués. Et ils viennent à l’association nous demander des conseils. Et moi je leur dis quoi ?

Je leur dis que le diagnostic n’est pas essentiel, ce qui peut les aider est le soin. Je dis encore que la mixité, le mélange, c’est cela qui est important. C’est dans ce partage, dans cette diversité que l’on va arriver à fabriquer des solutions, se trouver des combines pour mieux vivre. Car, quand même, l’extérieur est très compliqué pour nous, la société ne s’adapte jamais à nous, et c’est entre nous que l’on doit aménager des espaces

Olivia, d’Humapsy

La neurodiversité, j’en ai entendu parler par le biais des associations d’autismes. Je voyais cela comme une manière de mettre à distance, une demande d’une certaine attention. Nous sommes différents mais pas malades, ce qui n’est pas forcément un handicap, en même temps cela peut entraîner des difficultés. Mais cela peut être séduisant : nous ne sommes pas malades, voilà comment je l’ai ressenti. Mais on bute aussi sur des choses car on n’est jamais sûr que de dire cela déstigmatise.

Aujourd’hui ce discours de dire « c’est une maladie comme une autre », laisse en suspens. Alors à quel soin peut-on prétendre ? Je reste prudente, car on a souvent tendance à plaquer ses solutions sur les autres. On ne connait pas la représentation qu’a le patient. La science ne tranchant pas sur tout, je trouve que cette question peut et doit rester libre pour chacun, le patient peut se raconter ce qu’il veut.

Tim Greacen, VIF, psychologue australien

A vous entendre, la différence est un problème, un déficit. Vous oubliez de voir que c’est une chance …. le handicap. Ils développent des capacités énormes, cent fois mieux que les valides…

Bruno Falissard, pédospychiatre

Qui est malade ? C’est celui qui se sent assez en souffrance pour demander de l’aide, dit Canguilhem.

Je veux répondre à Tim, il y a une question de seuil ; quand l’on est dans l’incapacité à vivre, quand on s’automutile, on évolue là dans toute autre chose que d’une chance.

Pour le reste, oui être différent c’est cool, en tout cas cela peut l’être. Mais la société ce sont aussi des normes et les normes sont utiles. Quand tu arrives dans un rond-point en voiture, il y a des règles, autrement tout se bloque.

Olivier Saint jean, gériatre

Aujourd’hui, comme médecins, nous sommes noyés pour nos diagnostics par des échelles, des chiffres, des évaluations. Avec des plus, avec des moins. Et on y perd beaucoup. On est dans des logiques où l’on va trouver une échelle pour évaluer, puis on va trouver une petite molécule qui va faire descendre d’un seuil. C’est cela le soin ? Je crains que cela soit une régression massive

Olivia, d’Humapsy

On assiste à un retour de balancier. Quand on dit que l’on veut mettre à distance, c’est aussi parce que les gens veulent voir des gens aimants, la théorie on s’en moque un peu.

Bernard Ody, psychiatre, centre du 13°

J’ai vu les patients devenir de plus en plus « sachant ». Cela change beaucoup de choses. Cela peut faire penser parfois à ce que certains nomment le populisme scientifique..

Luc Boltanski, sociologue.

La catégorisation en psychiatrie a été aussi une façon d’échapper à la catégorisation morale.

Mireille Battut, mère d’un enfant autiste

Trois psychiatres, ce sont trois diagnostics, mais ce sont aussi trois traitements, trois molécules différentes après. Et on n’en parle pas. En France, nous avons une particularité, une passion : l’administration de la santé, mise au service de la gestion des populations, on catégorise pour gérer les populations. Les diagnostics sont ainsi mis au service de la gestion des populations. L’augmentation du nombre de diagnostics, est-ce au final le résultat de l’incapacité de l‘école à reconnaître la diversité ? Ou bien est-ce parce que l’école est tellement normative ?

Fred, d’Humapsy

C’est vrai que c’est politique. On nous a demandé, il y a quelques années, que la santé mentale soit choisie comme une grande cause nationale. Nous, on ne voulait pas, on disait non au tri par pathologies. On le voit, aujourd’hui. Il y a plus de 55 centres experts pour délivrer des diagnostics. Sauf que nous, on voit les gens, après, quand ils ont été expertisés. Ils ont tout vu, tout faits, des tests pendant quatre jours. Ils nous disent mais qu’est-ce qu’on fait maintenant ? Il n’y a rien nulle part. A Reims le CMP a fermé, remplacé par un centre expert. Alors les gens vont dans les GEM (groupe d’entraide mutuelle, qui regroupe des malades). On est loin du soin. Et ils repartent avec leur CD-rom qui montrent qu’ils ont bien entendu des voix…

Bruno Falissard, pédopsychiatre

Il ne faut pas oublier que la société demande aux psychiatres des diagnostics, et nous nous savons bien qu’ils ne valent pas grand chose. On pose des diagnostics alors, et on les déconstruit aussitôt…

VIF