Médiathèque – Ruspoli

Mario Ruspoli, Aubrac, Lozère, 1961

Issu de la noblesse italienne par son père, le cinéaste Mario Ruspoli avait une mère lozérienne aristocrate locale qui lui avait fait connaître l’hôpital psychiatrique de Saint-Alban, dirigé par le Dr François Tosquelles. En 1961, alors que Ruspoli vient tourner Les Inconnus de la terre, un film sur la paysannerie du plateau de l’Aubrac, il demande à Tosquelles de lui servir de guide. Ensemble, ils parcourent ce territoire isolé et dépeuplé, rencontrent bergers et agriculteurs qui se racontent et décrivent leur survie. Le psychiatre incite le cinéaste à réaliser juste après, sinon en même temps, Regards sur la folie (1962) dans son institution. Sorti vingt ans avant le fameux San Clemente de Depardon (1981), ce film raconte le fonctionnement de l’hôpital psychiatrique et la psychothérapie institutionnelle qui s’y développe. Il sera doublé d’un second film plus bref (22 minutes), consacré à la fête réunissant chaque année patient.e.s, soignant.e.s et villageois.es à Saint-Alban.

« Allez-y, tournez »

Dans un entretien avec Raymond Bellour en 1963, Mario Ruspoli explique sa démarche :

« Notre film sur la psychiatrie n’avait pas une seconde le but de satisfaire la curiosité morbide du public, son but était de montrer comment peu à peu dans cet univers de la folie, on arrive à reconstruire les personnalités effondrées des hommes. Finalement, nous avons tourné ces deux films en même temps, de jour nous travaillons chez les paysans, et puis on allait habiter chez les médecins de l’hôpital qui nous recevaient avec énormément de cordialité et de gentillesse. Toute la nuit, on parlait du problème de la folie, de ce qu’il fallait tourner ou pas tourner, et au bout d’un certain temps, ils nous ont dit : « allez-y, tournez ». Ils ont conservé bien entendu un droit de regard sur le film et nous avons fait, de A à Z, le film avec leur collaboration la plus profonde. Ils ont proposé certains textes qui illustrent ce film, le texte d’Antonin Artaud a été choisi par eux. […] Et puis on a sorti La Fête prisonnière qui est la fête de l’hôpital […] une fête qui tranche avec la vie quotidienne de l’hôpital parce que les malades, tous, tous ont contribué d’une façon ou d’une autre à la réalisation de cette fête votive. Certains qui ne peuvent au fond pas faire grand-chose ont fait par exemple des confettis avec des machines à confettis, d’autres, les femmes surtout, ont fait des costumes, puis d’autres ont eu des idées qu’on a mises en application chorégraphiquement, ou on fait des numéros, et c’est une sorte de grande kermesse, on a fabriqué des pochettes-surprises, on a fabriqué des chapeaux qu’on vendait ; certaines friandises ont été préparées par certaines femmes de l’hôpital, et tout ça est mis en scène uniquement par les malades en collaboration avec leurs infirmiers. […] Ce jour-là alors, on ouvre les portes toutes grandes et des gens arrivent de partout, des parents, des amis, des gens du pays, des gens de Mende, de Florac, qui viennent là tout simplement parce que c’est une kermesse, et qu’on danse. Il y a une grande piste de danse où les malades peuvent danser avec les gens de l’extérieur et ça crée un climat naturellement très favorable aux guérisons déjà avancées, et ça mêle les malades aux gens de l’extérieur, et on s’aperçoit à ce moment-là, cinématographiquement, qu’il y a très peu de différences. Cette différence, c’est nous qui nous la sommes mis dans la tête. »

Philippe Artières

Regard sur la folie (1962), France, 47 minutes

La Fête prisonnière – Les Portes de la raison (1962), France, 22 minutes

(DVD disponibles sur editionsmontparnasse.fr)

Poursuivre…

– Sur les traces de Mario Ruspoli. En Lozère. Retour sur les Inconnus de la terre, Martin de la Soudière, Crisnée (Belgique), Éditions Yellow Now / Côté cinéma, 2013, 144 p.