Il s’appelait André Roumieux

Ville-Évrard, Paul Machto

Sans doute ce nom ne dit pas grand-chose à la plupart des gens.
Et pourtant… Au milieu des années 1970, cet infirmier psychiatrique de l’hôpital de Ville-Évrard en Seine-Saint-Denis publia son premier livre qui allait provoquer un séisme dans le milieu psychiatrique. Ce fut le début d’une œuvre ! Mais surtout, l’émergence de la parole infirmière. Une parole où l’humanisme inondait le récit de la découverte par ce jeune infirmier débarquant de son Lot natal en région parisienne : de l’infernale condition asilaire, la souffrance des malades mentaux, des fous, qui pourtant à ses yeux étaient d’abord des êtres humains, mais qui étaient « traités » pire que des animaux.
Enfermés, attachés, parfois isolés dans des pavillons de gâteux, souvent abandonnés dans des lieux de rejet et de ségrégation. « Comme jeune infirmier, ce qui me touchait le plus, c’était ce qui se passait dans ces pavillons plutôt que ce qui se faisait de nouveau ; les anciens me l’ont reproché qui soulignaient, eux, ce qui changeait. Mais voir un malade attaché, voir des malades dans des baignoires de force pendant des heures et des heures, voir un malade en cellule me touchait profondément, ainsi d’ailleurs que le pavillon des chroniques. »

Je travaille à l’asile d’aliénés 

Il est né le 20 mai 1932 à Mayrinhac-Lentour, dans le Lot, et comme beaucoup de natifs du Lot, à la faveur d’une visite chez ses parents d’amis du village qui y travaillaient, il s’est engagé un jour de septembre 1951, à 19 ans, à Ville-Évrard, à Neuilly-sur-Marne, en Seine-Saint-Denis. Son père, sabotier, marchand de bois, ne voulait pas que son fils gâche sa vie à un travail aussi dur, aussi incertain que le sien. Il débarque, alors, dans un service, le Centre de traitement et de réadaptation sociale (CTRS) créé en 1948 par Paul Sivadon, psychiatre éminent. Mais il est affecté au Pavillon 7, le pavillon des agités !
Le jeune infirmier se mit à prendre des notes, à écrire, ce qu’il voyait, ce dont il était témoin. Il avait pourtant bien des scrupules à écrire, exercice alors réservé aux médecins, aux psychiatres. Mais aussi des scrupules à dire… La parole autorisée était l’apanage des seuls médecins… Ce fut Je travaille à l’asile d’aliénés, publié en janvier 1974 aux éditions Champ libre.

André Roumieux est pour moi le digne héritier de Jean-Baptiste Pussin, l’illustre ancêtre de l’infirmier psychiatrique qui le premier délivra les fous de leurs chaînes à l’hospice de Bicêtre en 1789. Si Jean-Baptiste Pussin posa ce premier acte fondateur, André Roumieux initia l’importance de la prise en compte de la parole et de la relation à l’autre pour les infirmiers. Pour moi, en 1974, jeune interne à l’hôpital de Moisselles, la lecture de son livre fut le choc et l’enthousiasme : un infirmier trouvait les mots pour dire ce que nous partagions dans nos mouvements d’agitation militante de cette époque.

L’hommage

Il y a quelques mois, j’ai été invité par la Société d’études et de recherche historique en psychiatrie (Serhep) à Ville-Évrard pour un hommage à André Roumieux, décédé le 19 avril 2020 à 88 ans.

André Roumieux, deux ans avant sa retraite, avait contribué à sa fondation avec deux de ses collègues infirmiers, Gilbert Léon et Maurice Mallet. Un projet qui lui tenait particulièrement à cœur pour réunir documents, objets, archives, dossiers d’illustres patients, comme Antonin Artaud, Camille Claudel, mais aussi des milliers d’inconnus qui ont vécu souvent des années, ont été soignés, traités, et trop souvent, maltraités à l’HP.

Ce jour-là, en annonçant que la bibliothèque de Ville-Évrard serait désormais nommée bibliothèque André Roumieux, la directrice de l’hôpital évoqua les questions dérangeantes qu’il a su lancer : « Faut-il enfermer les personnes en souffrance psychique ? Faut-il les attacher ? », ajoutant que « ces questions sont toujours aujourd’hui cruellement d’actualité ».
Elle a oublié de noter qu’il y a vingt ans, après l’engagement d’André Romieux et de beaucoup d’autres, à Ville-Évrard comme ailleurs, il était infiniment rare qu’un patient soit attaché, ou isolé. Aujourd’hui, tout est revenu à l’envers : plus de 80% des patients sont en placement sous contrainte, et partout des patients sont attachés ou isolés, nous disait un psychologue travaillant à la Serhep, lors de la journée du Patrimoine, le 17 septembre dernier.

Paul Machto

Bibliographie d’André Roumieux :
Je travaille à l’asile d’aliénés, éditions Champ libre (1974). Réédité en 2009 aux éditions Ivréa.
La Tisane et la camisole, trente ans de psychiatrie publique, éditions Jean-Claude Lattés (1981).
– Artaud et l’asile, éditions Séguier (Nouvelles éd.,1996).
– L’abbé Pierre, le pèlerin d’Emmaüs, éditions Presse du Chatelet, coll. Archipel (1999).
– Ville-Évrard. Murs, destins et histoire d’un hôpital psychiatrique, éditions L’Harmattan (2008).
– Les Retournaïres, publié en 2010 aux éditions Les Monédières.