Toujours rien. Ou très peu. Après un mois de guerre et de bombardements, nous cherchons simplement à prendre des nouvelles des hôpitaux psychiatriques en Ukraine. Les ONG, comme MSF ou MdM, n’ont pas de nouvelles. Aucun des syndicats de psychiatres, privés ou publics, n’ont d’écho. En cherchent-ils, d’ailleurs ? En temps de guerre, les fous n’ont pas beaucoup de relais, tant les urgences sont nombreuses. Voilà les quelques rares informations que nous avons pu recueillir.
22 mars, Mykolaïv
Le 22 mars une dépêche de l’AFP, au titre clair, reprise par La Provence : « La cour de l’hôpital psychiatrique de Mykolaïv, en Ukraine, jonchée de débris après avoir été pilonnée par l’armée russe ». Puis ce reportage : « La cour de l’hôpital psychiatrique de Mykolaïv retentit du bruit du verre brisé déblayé par le personnel et des volontaires. Chaque jour, les habitants de cette ville ukrainienne pilonnée par l’armée russe nettoient les débris des derniers bombardements et se préparent au prochain. Avec parfois des moyens de fortune, ils s’organisent aussi pour soutenir les forces sur lesquelles se brisent jusqu’à présent les assauts russes sur la route d’Odessa, le grand port ukrainien sur la mer Noire.
Les yeux rougis, une infirmière, Svetlana Mouraska, pleure à chaudes larmes à la vue du désastre : une frappe a creusé un cratère devant le centre de désintoxication pour femmes de l’établissement et soufflé ses façades. “Je suis venue prendre mon service, mais il n’y pas de service, alors j’emporte juste mes vêtements”, se désespère-t-elle. “Je travaillais ici mais maintenant tout est détruit. À 56 ans, comment vais-je retrouver un emploi ? C’est fini pour moi”. “Pourquoi bombardent-ils ?”, s’indigne l’infirmière, “ces patients ont besoin de nos soins”.
Comme à l’appui de son propos, de l’autre côté du bâtiment, dans une allée à l’abri des regards, dans une ambiance fiévreuse, une petite foule de toxicomanes se presse pour la distribution de méthadone.
“Malgré les dégâts, la frappe n’a pas fait de victimes”, dit Oleg Kondratenko, un des responsables de l’établissement. “Les patients de l’hôpital psychiatrique sont dans d’autres bâtiments qui n’ont pas été touchés.” Dans la cour principale, des membres du personnel et une poignée de jeunes volontaires s’emploient à en effacer les traces les plus visibles, balayant et ramassant les morceaux de verre. »
18 mars, nord-ouest de Kiev
Trois jours plus tôt, le 18 mars, cette autre dépêche : « Parfois, quand la guerre fait trembler sa clinique psychiatrique, dans le nord-ouest de Kiev, Oksana se cache pour pleurer. Puis l’infirmière se force à sourire et reprend sa mission : assurer à ses pensionnaires que “tout va bien » pour l’Ukraine. “La première fois, c’était si fort qu’on s’est tous assis. Maintenant on est habitué, on espère juste ne pas être sur le chemin d’un missile”.
Comme tous ses collègues, Viktor Jouravski, directeur de la pension neuropsychiatrique pour hommes de Novo-Bilytsky, a de petits yeux après une nouvelle nuit de bombardements. “Les explosions étaient vraiment très fortes. Et quand ils commencent à tirer, on ne dort pas de la nuit”, explique-t-il. Certains soirs, “je pleure à n’en plus finir dans ma chambre, pour ne pas que les patients ou collègues me voient”, avoue Oksana Padalka, l’infirmière en chef. Des 120 personnels à encadrer les patients avant la guerre, la moitié ne sont plus là aujourd’hui. Dont une infirmière qui habite à Boutcha, une ville voisine martyre sur la ligne de front, et dont Oksana n’a “plus de nouvelles depuis deux semaines”.
Ses émotions, elle ne peut pas les montrer à ceux qu’elle appelle “nos garçons”, ces malades de 18 à plus de 80 ans dont les familles ne peuvent pas s’occuper et qui vivent à l’année dans le centre. “Si je prends quelques cachets, le lendemain matin je suis calme”, avoue Oksana. Elle peut alors se maquiller, et arriver tout sourire face à ses pensionnaires. “S’ils voient qu’on est calme, ils pensent que tout est normal, et que tout ira bien pour eux”. Encore aujourd’hui, “certains disent qu’ils ont peur”, d’autres “demandent quand la guerre sera finie”. “On les prend dans nos bras, on leur dit qu’on est leur famille, on leur montre qu’on sera là pour eux. Que tout va bien, que la vie est belle”. Ils sont une dizaine, entre 35 et 60 ans, à jouer silencieusement aux échecs, à faire des coloriages ou de la pâte à modeler.
Parmi les changements, le soir, les patients vont au lit “à moitié habillés” pour pouvoir descendre rapidement, en cas de bombardements intensifs, dans le bunker du sous-sol, un abri antiaérien spartiate datant de l’époque soviétique. C’est arrivé “trois ou quatre fois” et tout le monde est remonté en moins d’une heure, précise le directeur. Les promenades dans les jardins ont été écourtées, et les pensionnaires n’ont plus accès à Internet…
Le directeur Viktor Jouravski grimace : “On n’a même pas de groupe électrogène…”. Dans un couloir, des patients errent, ou restent à la fenêtre, sans un mot, solitaires et absents. “On a des cas pathologiques parfois lourds”, glisse un médecin, et certains sont enfermés dans des cellules capitonnées, dénuées de tout objet jugé potentiellement dangereux.«
Et ailleurs…
Que sont-ils devenus ? Et ils ne sont pas les seuls. Le 13 mars 2022, dans la revue Ma clinique, ce récit raconte le même isolement. « Des centaines de membres du personnel et de patients ont été contraints de vivre dans des hôpitaux psychiatriques en Ukraine car ils se sont retrouvés sans abri à cause du conflit, tandis que les chefs d’hôpitaux préviennent qu’ils pourraient manquer de médicaments d’ici un mois.
Dans une interview avec The Independant, le Dr Yurij Zakal, vice-président de l’Association ukrainienne des psychiatres d’Ukraine et le Dr Serhiy Mykhnyak, psychiatre en chef, ont déclaré que les hôpitaux psychiatriques à travers l’Ukraine étaient dans une situation “inquiétante”, alors que les unités des parties orientales de la ville sont encerclées. Les médecins ont déclaré qu’il y avait un “pur” besoin de médicaments dans tous les hôpitaux et qu’il y avait un risque d’épuisement dans un mois, ce qui aurait un impact sur le traitement des patients gravement malades.
À la suite d’une conférence téléphonique avec des collègues de premier plan vendredi, les histoires rapportées racontaient des patients en santé mentale vivant dans des “conditions terribles”, avec un “stock de nourriture limité”.
Les médecins ont déclaré que dans un hôpital, il y avait “une cinquantaine de patients qui restent sans abri et environ plus d’une centaine de membres du personnel vivant à l’hôpital, car ils n’ont nulle part où retourner”.
Dmytro Martsenkovskyi, un psychiatre basé à Kiev, a déclaré qu’étant donné que les soins psychiatriques ukrainiens étaient des soins très centralisés et que les hôpitaux basés dans des villes bombardées, de nombreux patients recevant des soins ambulatoires ne peuvent pas se rendre dans ces hôpitaux pour obtenir leurs médicaments. Il a ajouté “de nombreux enfants ou adultes qui sont dans des hôpitaux généraux, ils n’ont tout simplement pas de médicaments”. »
Voilà, juste quelques bribes.
Si des lecteurs de VIF ont des nouvelles, voire des idées pour établir des liens…
Éric Favereau