L’histoire des « 39 » (5)

Retour sur l’histoire militante et engagée d’un collectif de soignants et patients de la psychiatrie contre le tout sécuritaire voulu, à l’époque, par Nicolas Sarkozy.  

Épisode 4 – Le meeting inaugural

Samedi 7 février 2009, 8 heures. À pied d’œuvre. Quelques viennoiseries et des thermos de café.  Nous sommes là. Les 39 du 12 décembre 2008, autour d’une table pour mettre au point les derniers ajustements pour ce meeting. Et pour moi, ce moment vient résonner curieusement. Je n’en avais rien dit mais deux jours avant, je passais un cap personnel, soixante ans… Clin d’œil intime.

Montreuil, La Maison de l’arbre de la Parole errante. Le choix d’un tel lieu, dans une sorte de clin d’œil à la poésie du surréalisme, ne peut que permettre un espace propice aux rêves d’un mouvement à l’œuvre. Lucien Bonnafé, l’artisan majeur d’une psychiatrie désaliéniste de la deuxième moitié du vingtième siècle, aurait été heureux d’être avec nous pour nous offrir un discours poético-politique dont il avait le secret.  Les amis de l’association La Parole errante autour d’Armand Gatti n’ont pas hésité à nous proposer de nous accueillir. Stéphane Gatti, dans son propos d’accueil1, présentera l’objet et l’ambition de ce lieu que je qualifierai d’alternatif, un laboratoire articulant expositions et rencontres où, à côté des créations d’Armand Gatti, se discuteraient les questions politiques, sur la ville, sur le champ social. 

Un moment historique

Dans le froid de ce matin de février, nous savons qu’il va y avoir du monde : il y a déjà 1 200 personnes inscrites… Si l’appel lancé fin décembre a recueilli plus de vingt mille signataires dans un laps de temps très court, comment trouver, organiser, lancer un mouvement qui puisse avoir quelque effet sur la politique sécuritaire lancée par Nicolas Sarkozy et au-delà, introduire du changement sur l’état de la psychiatrie, les dérives en cours, la bureaucratie gestionnaire déjà bien engagée partout ?  

En début d’après-midi, les gens arrivent. La salle se remplit. Nous serons surpris par l’affluence : près de deux mille personnes vont être présentes, attentives et engagées. Symboliquement, nous  déciderons de déclarer la venue de 1789 participants ! Des psychiatres, des soignants en psychiatrie, mais aussi des patients, des parents, des personnes de tout milieu, soucieuses de réagir à la violence faite à l’accueil des fous, des malades. 

Nous avons dû décider qu’il ne sera pas possible de donner la parole à la salle. Trop difficile à gérer, le temps étant compté pour cet après-midi : chacune des interventions à la tribune ne devra pas dépasser trois minutes ! Une gageure pour les psys et quelques politiques importants qui ont accepté notre invitation. C’est une clochette qui va rythmer et signaler à l’orateur, à l’oratrice, que son temps est terminé. Et chacun ou presque va s’y plier. Quarante‑et‑une interventions vont se succéder tout au long de la journée, transmettant un souffle, une dynamique, chacun s’engageant en son nom personnel, à l’exception de quelques-uns, dûment mandatés. Jack Ralite, ancien ministre de la Santé, Jean Oury, apportent leur touche singulière et vibrante. Mais aussi Serge Portelli, Guy Baillon, Pierre Delion, des représentants du PS, du PCF, de quelques organisations syndicales, vont côtoyer des paroles singulières.  

Dans sa conclusion, Hervé Bokobza se lâche : « Il serait fou de conclure un tel meeting. Vous ne vous rendez peut-être pas compte à quel point ce que vous faites aujourd’hui est important pour l’avenir. » Et il se dit persuadé qu’il s’agit avec ce meeting d’un moment historique. 

Historique ? C’est quoi l’histoire ? Un moment, un changement ? Le retour de l’espérance. Le lyrisme qu’a suscité ce moment est certes inévitable tant nous avons pu ressentir la force et le désir de mouvement de cette assemblée réunie dans un temps si court. On se le disait alors, cette belle énergie va nous pousser à inventer un mouvement, des forums dans de nombreuses régions, des manifestations inédites, des sollicitations dans de très nombreux colloques et congrès pour des interventions du Collectif des 39, au cours des mois et des années qui vont suivre.

Épuisés par cette  journée riche, nous allons nous retrouver ensemble dans une modeste brasserie à côté de La Maison de l’arbre pour fêter cet événement impensable. 

Les caricatures du psychiatre Pierre Sadoul

(photos Antoine Machto)

Paul Machto

1) Revue Sud/Nord (n° 23, Éd. Érès), qui a eu l’heureuse idée de réunir toutes les interventions du meeting.

Épisodes précédents : 

3 – Un 12 décembre pas comme les autres

4 – Le meeting de Montreuil