« Comment ? Vous avez 85 ans, ce n’est pas possible ! Vous me racontez des histoires. Vraiment, vous ne faites pas votre âge ! »
Ce type d’échange s’entend couramment quand deux personnes qui ne se connaissent pas parlent de l’âge de l’une d’entre elles. Réaction bienveillante, plus ou moins sincère, qui met en scène tout notre malaise à parler de la vieillesse et de ses représentations.
Les caractéristiques des deux protagonistes ont des constantes : l’un est beaucoup plus jeune que l’autre, et le pseudo-vieux a plus de 70 ans. De fait, il faut que le vieux soit clairement vieux pour que l’on puisse s’étonner de cette fraîcheur apparente qui dénote avec l’âge réel qui devrait s’afficher par une décrépitude avancée.
Car ce que sous-tend cet étonnement c’est bien sûr le décalage entre la fraîcheur relative du vieux et l’image repoussante qu’il devrait avoir, vu son âge.
La vieillesse, c’est la laideur, la décrépitude, y échapper est un exploit que l’on se doit de saluer, mais qui nous laisse quelques doutes sur notre avenir…
Faire jeune, toujours jeune…
Car bien sûr, si celui qui reçoit ce compliment ne peut qu’être satisfait, au fond de lui, il risque de ressentir la menace prochaine de cette vieillesse qui progresse inexorablement et de cette lutte que l’on sait tous perdue : rester éternellement jeune ! On se dit : « J’ai gagné une bataille, mais ne vais-je pas perdre la guerre ? » À moins de vendre son âme au diable, nous savons tous que notre transformation physique est inexorable.
Ces propos qui se veulent valorisants ne sont en fait que l’expression d’un âgisme qui perpétue les représentations négatives de la vieillesse. Ou du moins, la seule échappatoire à la vieillesse est de faire jeune, toujours jeune…
La valeur d’un individu ne se traduit pas à l‘aune de son apparence. Il y a bien d’autres qualités que l’on peut mettre en avant. Ramener une personne vieille à son apparence, c’est lui interdire de vieillir sereinement.
La mise en avant de l’âge pour signifier la compétence est aussi une pratique que l’on retrouve dans des expressions du type : « À votre âge, ce que vous faites est étonnant » ou « mais comment faites-vous pour être encore aussi… ? » ou « vous faites encore du jardinage ? »… Toutes ces expressions qui montrent un étonnement et qui se veulent bienveillantes peuvent être reçues comme un signal d’une fin de vie annoncée qui nous immobilisera intellectuellement et physiquement.
Dans une société dans laquelle les valeurs centrales sont l’apparence d’une beauté standardisée, la nouveauté, le changement, où trouver une place positive à la vieillesse sans aller les chercher dans les qualités associées à la jeunesse ? J’entendais que la plupart des marques de prêt à porter supprimaient la production des grandes tailles. La différence de nos corps, de nos visages, doit-elle être gommée pour nous transformer tous et toutes en Barbie et Ken ? Mais où est Barbie grand-mère ?
Francis Carrier