
Les vieux d’aujourd’hui se souviennent de ce moment tant attendu : le permis de conduire. À 18 ans, nous foncions pour décrocher le feuillet rose, que l’on nous donnait à la fin de l’examen de conduite et qui était pour la plupart d’entre nous symbole de liberté. Comme beaucoup, j’ai commencé modestement ma carrière de conducteur, ma mère me prêtant sa 2CV Dyane. Décapotable, elle m’a permis d’aller chercher copains et copines pour nos sorties du samedi soir. J’étais le roi ! Ces temps où la voiture ne portait que des images positives est bien révolu.
De nos jours, on a chassé la voiture des centres-villes et on la considère avant tout comme un objet polluant. Notre permis de conduire à vie est remis en cause pour des raisons de sécurité routière. Je ne sors plus en boîte, certes, mais habitant en banlieue parisienne, j’utilise ma voiture quotidiennement pour faire mes courses et me rendre à mes différents rendez-vous.
Comme beaucoup de vieux, je me pose la question de savoir comment je ferais si je ne pouvais plus conduire. Le point de vue des vieux vivant en ville et de ceux vivant en rase campagne est irréconciliable.
En ville, on bénéficie de la proximité des commerces, des services et des transports en commun, qui même s’ils ne sont pas toujours accessibles permettent de se déplacer dans la ville.

À la campagne, c’est une autre paire de manches. La proximité n’existe plus, les services publics se raréfient et faire ses courses nécessite de faire plusieurs kilomètres. Sans voiture, comment continuer à vivre ?
Dans une réunion publique où je me plaignais de la difficulté de garder une voiture en centre-ville, une élue m’a répondu vertement : « Mais Monsieur, j’ai dans mon arrondissement des vieux qui font du vélo ! » Je suis ravi que certains puissent faire du vélo, mais tout a une limite et le vélo sera, pour une personne avancée en âge, plus difficile à conduire qu’une voiture. Garder son équilibre, appuyer sur les pédales devient très compliqué avec le temps.
À Paris, le métro est parfait, tant que l’on peut monter et descendre les marches. Seules 17% des stations sont accessibles aux personnes à mobilité réduite. Et quand on ne peut plus sortir de chez soi, difficile de recevoir des visites d’amis qui voudraient venir nous voir en voiture. La difficulté pour se garer et le coût du stationnement sont dissuasifs. À ce propos, pourquoi ne pas généraliser un droit de visite mis en place dans quelques municipalités ? En termes de justice sociale, c’est permettre à quelqu’un qui n’a plus la possibilité de se déplacer de céder temporairement ses droits de résident à un tiers pour qu’il puisse se garer sans payer une fortune ! Les zones à faibles émissions, les vignettes de pollution, les contrôles techniques, l’augmentation du prix des carburants, autant de raisons qui font pression sur des retraités qui ont peu de moyens.
Changer de véhicule alors qu’on l’utilise une fois par semaine, pour un véhicule électrique, est une aberration !
Et maintenant, on nous menace de nous enlever le permis !
L’idée de départ n’est pas mauvaise. Vérifier que les conducteurs sont aptes physiquement à conduire n’est pas une mauvaise chose en soi. Mais la perte de ce droit de conduire ne peut se réfléchir sans parler du droit à circuler, du droit d’accès aux services publics et du droit à subvenir à ces besoins quotidiens pour continuer à vivre dans son logement.
Supprimer le permis de conduire à quelqu’un qui en a un besoin vital pour faire ses courses, c’est participer à son isolement et c’est le condamner à mort,
Alors, parlons des droits à la mobilité et trouvons les solutions pour permettre à chacun de vivre le plus normalement possible selon ses choix. Différentes mesures doivent être envisagées : un co-voiturage solidaire, le droit d’accès et aux stationnements pour des visiteurs, des trajets taxis à prix réduit, des minibus collectifs à la demande, des remplacements de véhicules par des véhicules sans permis.
Nos élus ont beaucoup d’imagination pour chasser la voiture et nous contrôler pour nos aptitudes, je suis sûr qu’ils trouveront des idées géniales pour nous permettre de continuer à bouger de chez nous.
Le seul endroit dont on ne bouge plus, c’est le cimetière !
Francis Carrier