À la veille d’une réunion de travail sur le logement organisée par le Conseil national autoproclamé de la vieillesse (CNaV), le 16 mai, au Théâtre du Soleil à la Cartoucherie, sous la houlette d’Ariane Mnouchkine, Francis Carrier revient sur cette ambiguïté des Ehpad, lieux de vie ou lieux de soins ?
Les lieux d’accueil pour les personnes âgées dépendantes doivent-ils être vus et traités comme des lieux de vie ou des lieux de soins ?
Les Ehpad ne sont pas des hôpitaux, mais ils sont soumis à des réglementations et à des normes qui leur en donne trop souvent l’apparence. C’est un peu le Canada Dry du médicosocial : l’apparence et le goût de l’alcool, mais c’est une boisson sans alcool.
Si l’on en croit le dernier scandale Opea, les Agences régionales de santé (ARS), organe de contrôle de ces institutions, n’ont pas rempli leur mission. Et pourtant, ces lieux dans lesquels on regroupe les personnes dépendantes ne devraient-ils pas répondre aux mêmes critères de qualité et d’exigence que des lieux de soins du secteur hospitalier ? Mais on nous dit que ce sont aussi des lieux de vie… Des lieux de vie dans lesquels nos libertés sont tout de même très restreintes.
Est-ce réellement le cas ? En fait, tout dépend… Selon les établissements, les règlements peuvent changer : le plus souvent, il est interdit d’avoir son animal de compagnie, le mobilier personnel doit répondre à des normes incendie, les visites sont contrôlées et même parfois interdites (cf. Covid), les rythmes des résidents sont soumis à des horaires bien précis… Toutes ces réglementations qui s’appliquent font que ces lieux de vie en collectivité sont très éloignés de notre mode de vie au domicile.
Des habitats alternatifs sont actuellement de plus en plus proposés, des lieux respectueux de la liberté individuelle et privilégiant une vie comme chez soi : accueil familial, habitat partagé… Mais voilà, les ARS font régulièrement fermer tel établissement car ne respectant pas les normes en vigueur. Tant que l’on reste chez soi, aucun organisme ne vient contrôler ce que l’on mange, combien de fois le ménage est fait ou si nous avons fait notre lit… La qualité de vie ne se mesure pas au nombre de douches prises par semaine.
Mais le niveau d’hygiène, les fréquences de passage, la qualité des sols… sont plus faciles à quantifier que le plaisir de vivre.
C’est le paradoxe et l’ambiguïté des lieux d’accompagnement des personnes âgées qui ne sont en fin de compte ni des des lieux de soins, ni des lieux de vie. Le Danemark a fait le choix de supprimer toutes les subventions aux maisons de retraite médicalisées, en privilégiant la vie et les soins au domicile. Au moins, le parti pris de privilégier le lieu de vie est clair : on reste chez soi. Pour autant , l’organisation des intervenants médicaux doit être reconsidérée pour que les soins soient de qualité. Et au passage, repenser la coordination des intervenants : médecin de ville, infirmières, aides-soignantes, hôpital, et intervenants paramédicaux.
De fait, la difficulté que l’on a pour concilier lieu de vie et lieu de soins ne vient-t-elle pas d’une vision qui ne pense pas en priorité qualité de vie ? Nous avons besoin d’un autre type de lieu, mais aussi d’un autre type de médecine en vieillissant. Une médecine plus douce, moins axée sur le curatif, et plus sur le confort. Les normes hospitalières ne sont pas adaptées pour des lieux de vie. Il faut imaginer une médecine d’accompagnement qui ne soit pas axée sur l’hygiénisme, la réglementation et la performance, mais une médecine qui sache s’effacer pour s’adapter aux conditions de vie de chacun, et pour que, définitivement, on vive et vieillisse dans des lieux qui nous ressemblent.
Francis Carrier
Lundi 16 mai, au Théâtre du Soleil à la Cartoucherie, journée du CNaV, sur le thème « Quels habitats pour nos vieux jours », de 11 à 18 heures.