Il est difficile d’accepter sa vieillesse, surtout à une époque où nos représentations sont celles de la dépendance, de l’inutilité, ou de la maladie.
La lutte contre le sida a permis de faire émerger un nouveau type d’action, basé sur l’autosupport. L’identification a une population, celle des séropositifs, a permis de montrer les difficultés et les discriminations vécues par les malades.
Je me souviens des premiers états généraux « Vivre le sida » au Bataclan qui ont été un moment déterminant pour qu’enfin ce soient les malades qui parlent d’eux-mêmes.
De ce mouvement sont issues des modifications essentielles dans la place des malades, dans leur représentation dans toutes les structures de soin, et cela a surtout permis que les malades aient enfin le droit de consulter leur propre dossier médical.
Cette identification à un groupe qui réunissait des personnes séropositives et des malades a fait émerger un discours original basé sur le ressenti des discriminations vécues par les uns ou les autres.
Une des conséquences a été l’apparition du patient-expert comme un partenaire de l’accompagnement et de soutien aux autres malades. Une chaire a même été ouverte à l’université de la Sorbonne par Catherine Tourette-Turgis, pour formaliser et diffuser ce nouveau type d’approche, dont le but est de transformer l’expérience des malades en expertise.
Cette approche ne pourrait-elle pas être une voie pour revaloriser l’image des vieux dans notre société ?
Il n’est pas question d’associer la vieillesse à l’expertise médicale, mais de donner un rôle de pair, ou d’accompagnant pour les autres vieux dans les décisions qu’ils doivent prendre au cours de leur vieillesse. De se servir de leurs histoires comme de leurs expériences. Créer ainsi une relation qui ne soit pas basée sur l’assistance et la compassion, mais sur l’expérience personnelle de sa propre vieillesse. Une relation sur un plan d’égalité.
Les différents rôles que l’on nous fait jouer quand nous vieillissons (patient, client, usager, malade) nous maintiennent dans une posture passive ou réactive. Nous sommes rarement acteurs dans l’expression de nos choix.
Ne pourrait-on pas échanger avec une personne comme nous, un vieux ou une vieille, qui nous éveillerait à la possibilité d’anticiper les décisions que nous devrons prendre et ainsi de se préparer, d’élaborer des projets pour anticiper les choix que nous devrons faire ?
Un cursus de préparation à ces échanges ne pourrait-il pas être envisagé sur le même modèle que le patient expert ? Faire de notre vieillesse une expérience que l’on pourrait transmettre aux autres. Une master class qui nous aiderait à comprendre les enjeux de notre vieillesse, exprimer nos désirs, construire des projets pour mieux appréhender notre propre vieillesse et pouvoir par la suite devenir une ressource pour nos alter ego.
Il ne s’agit pas d’imposer des modèles mais d’aider à la formulation des choix de chacun et de sortir d’un déni qui ne nous laisse comme seul choix de subir les événements et d’être contraints d’accepter ce que nous ne voulions pas. Ne plus être plus ainsi l’otage des décisions des autres mais, au contraire, participer activement à la construction d’un environnement dans lequel nous pourrions vieillir.
« Vieux-expert », l’expression n’est pas la bonne. Je préfèrerais plutôt parler d’une mission d’éveil ou d’accompagnant, de pair pour pouvoir imaginer sa propre vieillesse.
Redonner du pouvoir aux vieux sur leur destin, retrouver un rôle social serait peut-être une piste pour ne plus se sentir obligé de faire toujours jeune pour pouvoir exister, et faire ainsi émerger un sentiment collectif qui soit positif.
Francis Carrier